Chronologie de l'histoire syndicale

1886 - Création à Lyon de la Fédération nationale des syndicats et groupements corporatifs de France. Le mouvement ouvrier s'était reconstitué peu à peu après l'écrasement de la Commune. Deux ans après la loi de 1884 autorisant les syndicats, ce premier regroupement constitue une incontestable avancée de l'autonomie ouvrière contre les tentatives de contrôle de la bourgeoisie. La tutelle du POF (Parti Ouvrier Français de Jules Guesde et Paul Lafargue) qu'elle subit très vite, souvent de manière bureaucratique, permet cependant d'ancrer la conception d'un syndicalisme de lutte de classe.

1892 - Fondation à Saint-Etienne de la Fédération Nationale des Bourses du travail. Elle se crée essentiellement par opposition à la Fédération Nationale des Syndicats. Elle est dominée par les anarchistes. En son sein, et sous l'impulsion de Fernand Pelloutier se forgent les thèses anarcho-syndicalistes (un syndicalisme révolutionnaire antiétatique basant son action sur la grève générale) qui marqueront profondément le mouvement syndical français.

1895 - Naissance du syndicalisme confédéré. Du 23 au 28 septembre des militants représentant des Bourses du Travail, des syndicats fédérés ou indépendants se réunissent en congrès. La Confédération Générale du Travail est née.

1902 - Congrès de Montpellier. Il faut, en fait, attendre cette date pour que le syndicalisme s'unisse vraiment : la Fédération Nationale des Bourses du travail s'intègre définitivement dans l'organisation de la CGT. La CGT adopte alors ses structures durables basées sur la double organisation horizontale et verticale. Progressivement, se mettent en place des Fédérations d'industries regroupant les salariés d'une même branche (en remplacement des fédérations de métiers). Les Bourses du travail se transformeront de leur côté en Unions départementales.

1906 - Le congrès d'Amiens confirme les grandes orientations du syndicalisme français :

  • reconnaissance de la lutte de classe;

  • lutte pour la suppression du salariat et du patronat (" l'expropriation capitaliste") ;

  • prise en charge de l'économie par le syndicat devenant "groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale" ;

  • la grève générale comme moyen d'action.

Si les syndiqués ont l'entière liberté d'agir en dehors du syndicat, au sein d'organisations politiques ou philosophiques, le syndicat pour sa part mène l'action contre le patronat sans se préoccuper "des partis ou des sectes qui, en dehors ou à côté, peuvent poursuivre en toute liberté la transformation sociale".

1909 - Démission de Victor Griffuelhes, secrétaire général de la CGT depuis 1901, très représentatif des "syndicalistes-révolutionnaires". Après un passage éclair du réformiste Louis Niel, il est remplacé par Léon Jouhaux. Celui-ci également issu du syndicalisme révolutionnaire, se réclamera surtout du réalisme puis du réformisme. Il restera secrétaire général de la CGT jusqu'en 1947.

1914-1918 - Malgré les engagements antérieurs contre la guerre, la majorité de la CGT s'engouffre dans l'union sacrée. Léon Jouhaux accepte des responsabilités nationales l'impliquant dans l'effort de guerre. Une minorité continue à s'opposer à la guerre.

1919 - Création de la CFTC, surtout implantée en milieu employé. Sa naissance discrète, son peu d'influence jusqu'à la seconde guerre mondiale ne peuvent masquer deux éléments majeurs : l'introduction du pluralisme syndical dans la vie française, et sa justification par un engagement idéologique (ici, la religion). Cette même année 1919 voit se réaliser un fort courant d'adhésions à la CGT dans un climat d'exaspération après la terrible épreuve de la guerre et les promesses sociales non tenues. Cette flambée retombera après l'échec des grands mouvements de grèves de 1920 partis des chemins de fer et les débats très durs auxquels ils donneront lieu à propos de la tactique des luttes.

1921-1922 - L'attitude durant la révolution russe de 1917 divise profondément la CGT. Les positions se cristallisent entre réformistes estimant que la société peut être modifiée progressivement et les révolutionnaires qui entendent la changer brutalement. La scission est consommée par l'éviction de fait du courant révolutionnaire contraint de créer la CGTU en 1922.

1922-1933 - Les deux courants demeurent éloignés. Le courant révolutionnaire qui semblait en passe de prendre la majorité à la veille de la scission, stagne dans une CGTU s'enfermant dans une attitude sectaire et une tendance à la politisation systématique. La CGTU mène cependant des luttes courageuses malgré une répression féroce. La CGT, de son côté, favorise le compromis au détriment de l'action des salariés. Chacune prône l'unité tout en campant sur ses positions.

1934-1936 - Face au péril fasciste intérieur et extérieur, les deux courants se rapprochent. Ils mènent des pourparlers dès 1934. En 1935, les deux congrès simultanés décident de la réunification qui se réalise au congrès de 1936. CGT et CGTU avaient participé à l'élaboration du programme du Rassemblement populaire (appelé ensuite Front populaire) qui devait remporter les élections législatives en mai 1936 (deux mois après le congrès de réunification).

1936-1939 - Les grèves de juin 1936, ses acquis, entraînent un fort courant d'adhésions au syndicalisme qui profite essentiellement au courant révolutionnaire dans la CGT. Celle-ci se trouve renforcée dans ses orientations par l'apport des deux courants : insertion dans la vie nationale et lutte de classe se conjuguant pour donner son originalité au syndicalisme français.

1939 - Avec la désagrégation du Front populaire, les désaccords se creusent entre les deux courants. L'attitude face aux événements internationaux va jouer un rôle majeur dans la division. Le pacte germano-soviétique permet à un groupe particulièrement réactionnaire (conduit par Belin qui deviendra ministre du travail de Pétain) d'emporter la décision de la direction confédérale majoritairement réformiste : les militants appartenant au Parti communiste et les organisations qu'ils dirigent sont exclus de la CGT. C'est à nouveau la scission.

1940 - Dissolution le 9 novembre de la CGT et de la CFTC par Pétain. Le 15 novembre, signature par neuf dirigeants de la CGT et de la CFTC du "Manifeste" tentant de préserver l'indépendance du syndicalisme. Sous la direction de Benoît Frachon, le courant révolutionnaire conduit la lutte syndicale clandestine.

1943 - Des responsables des deux courants signent dans la clandestinité les accords du Perreux entraînant la réunification.

1944-1947 - Cohabitation des deux courants dans la CGT unique, symbolisée par l'existence de deux secrétaires généraux : Benoît Frachon et Léon Jouhaux. La CGT qui a participé à l'élaboration du programme du CNR (Conseil national de la Résistance) contribue à la "bataille de la production" et aux grandes réformes qu'il prévoyait. Pour la troisième fois de son histoire, après 1919 et 1936, le syndicalisme français prend un véritable caractère de masse. Dans cette période, en 1945, est fondée la FSM (Fédération syndicale mondiale), fédération syndicale internationale unitaire. En France, une organisation catégorielle de cadres (la CGC) se crée en 1946.

1947-1949 - Les tensions politiques à l'intérieur du tripartisme (alliance au gouvernement et à l'assemblée des trois grands partis politiques : socialistes, démocrates-chrétiens et communistes), se répercutent sur le mouvement syndical. Le choix de la tutelle américaine sur la vie nationale avec le plan Marshall renforce les désaccords. En décembre 1947, le courant réformiste désormais minoritaire et réuni autour de la revue Force Ouvrière, fait scission. Il crée la CGT-FO l'année suivante, tandis que la Fédération de l'éducation nationale choisit l'autonomie, ainsi que différents autres syndicats de moindre importance. La scission frappe également le syndicalisme international : en 1949, se crée la CISL (Confédération Internationale des Syndicats Libres) qui deviendra la C.E.S. (Confédération européenne des syndicats), véritable internationale réformiste, à laquelle adhère FO. En 1948 est créée l'Union Générale des Ingénieurs et Cadres CGT (UGIC).

1950-1960 - Ces années sont marquées par la guerre froide et la politique dite de troisième force (alliance du MRP et du Parti socialiste contre les gaullistes d'un côté et les communistes de l'autre) appuyée par FO et en partie par la CFTC. Celle-ci voit son influence progresser. Une minorité organisée depuis 1948 autour du SGEN (Syndicat Général de l'Education Nationale) tente d'orienter la CFTC dans une voie plus moderne. Elle souhaite l'abandon de la référence à la collaboration de classes, une prise de distance à l'égard de l'Eglise. Elle défend une vision progressiste, voire socialiste de la société. La CGT, tout en conduisant les luttes revendicatives, mène un combat contre les guerres coloniales et pour la défense de la paix. Quant à FO, essentiellement soudée par l'anticommunisme, elle prône la politique de la "présence" (être partout où se décide le sort des salariés.

1964 - Le courant "Reconstruction" de la CFTC (l'ancienne minorité) obtient du congrès la "déconfessionnalisation" de l'organisation qui devient désormais CFDT (Confédération Française Démocratique du Travail). Une petite minorité décide cependant de maintenir la CFTC et fait scission.

1966 - Le premier accord d'unité d'action est signé entre la CGT et la CFDT. FO refuse de s'y rallier.

1968 - Si les grèves de mai-juin sont d'une puissance inégalée, elles n'entraînent pas le fort mouvement d'adhésions de 1936 et 1945. Les organisations syndicales ont été certes très actives dans le mouvement mais sont divisées sur les perspectives politiques et la tactique des luttes.

1969 - L'UGIC devient UGICT-CGT organisant les ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise.

1970 - Au cours de son Congrès, la CFDT se prononce pour un "socialisme autogestionnaire" et reconnaît l'existence de la lutte des classes.

1972 - La CGT approuve la signature du Programme commun de gouvernement par les partis de gauche (communiste, socialiste et mouvement des radicaux de gauche). Depuis plusieurs années, la CGT défendait l'idée de ce programme à l'élaboration duquel elle était prête à participer, ce que le refus des autres organisations syndicales ne permit pas. Elle devait soutenir ensuite ce programme politique, aliénant ainsi une part de son autonomie.

1974 - Un second accord est signé entre la CGT et la CFDT. Plus complet que le précédent, il est plus précis également sur les modalités d'action. Entre-temps, la CFDT a condamné les actions aventuristes qu'elle favorisait depuis 1968.

1979 - A son congrès de Brest, la CFDT décide du "recentrage" de son orientation. Elle entend désormais s'appuyer sur le réalisme et la négociation. Elle abandonne ses élans révolutionnaires issus de 1968. Elle réfute la conception d'affrontement global sur laquelle était basée l'unité CGT-CFDT. En fait, la rupture est consommée dès 1977, en lien étroit avec celle des partis de gauche. Les accords signés à partir de ce moment auront très peu d'effet.

1980-1990 - La CGT, comme la CFDT, saluent la victoire de la gauche en 1981 et appuient les premières réformes. Dès 1982, les attitudes divergent : la CFDT soutient le plan d'austérité du gouvernement tandis que la CGT le critique sans pour autant être en mesure de susciter une mobilisation. FO demeure pragmatique et continue à prôner la "politique contractuelle" (il faut attendre son congrès de 1989 pour qu'elle affirme une certaine volonté de lutte). Dans les années qui suivent, les syndicats sont confrontés à l'approfondissement de la crise de société et aux mutations profondes qui bouleversent le salariat. En même temps que l'on peut parler de crise du syndicalisme, les luttes prennent, depuis 1986, un caractère nouveau marqué par une responsabilité plus grande des salariés.

1990-1995 - Ces années voient la remise en cause de la lutte des classes, concept qui a marqué le siècle et influencé le mouvement syndical : les sociétés socialistes se sont effondrées, les tentatives réformistes ont avorté. Le mouvement syndical connaît de nouveaux éclatements : création du SUD-PTT et du CRC-Santé par scissions des fédérations CFDT, explosion de la FEN qui se divise en deux (avec création de la FSU). Simultanément s'opèrent des recompositions : des organisations autonomes, essentiellement issues du secteur public se regroupent à l'initiative de la FEN et de la FGAF (Fédération Générale Autonome des Fonctionnaires) en créant en 1993 l'UNSA (Union Nationale des Syndicats Autonomes), avec, comme objectif leur "reconfédéralisation". Dans le même temps, le libéralisme fait des ravages et les syndicats sont confrontés à une situation grave : précarité, chômage, marginalisation, bas salaires, dévaluation des qualifications, remise en cause des droits sociaux menacent la société d'implosion. Confronté à ce défi, le syndicalisme dispersé doit retrouver son efficacité en dépassant ses désaccords idéologiques. L'orientation de la FSM que la CGT tente depuis vingt ans d'infléchir dans le sens de la démocratie et de l'indépendance, tourne le dos à ces principes à un point tel qu'elle décide de la quitter (décision du congrès de 1995). La fin de l'année 1995 voit se développer de grandes luttes sociales.